La pochette de l'album "Brahms : Double Concerto" représente Pinchas Zukerman et Amanda Forsyth assis l'un à côté de l'autre, tenant respectivement un violon et un alto. Le texte de l'image indique également "Orchestre du Centre national des Arts du Canada".
Enregistrements de l’OCNA

Brahms : Double Concerto – Symphonie n°4

Publié le 30 octobre 2015

Compositeurs : Johannes Brahms
Interprètes : Orchestre du Centre national des Arts du Canada | Pinchas Zukerman | Amanda Forsyth
Périodes : Romantique
Genres : Concerto

Cet album a été rendu possible grâce au généreux soutien de Harvey et Louise Glatt.

Le Double Concerto de Brahms ou Concerto pour violon et violoncelle en la mineur, op. 102

Brahms a écrit sa dernière composition purement orchestrale en 1887, soit dix ans avant sa mort. Cette année-là, il avait passé l’été en Suisse, près du lac de Thoune, appréciant le paysage et les attraits de la région. Brahms et le célèbre violoniste hongrois Joseph Joachim avaient été de grands amis pendant de nombreuses années, mais leur amitié s’était assombrie lorsque le compositeur avait pris parti pour la femme de Joachim au cours d’une dispute conjugale. Après un long silence, Brahms tenta de renouer avec son ancien ami. La collaboration des deux hommes au Double Concerto fut le prétexte à une abondante correspondance, et Brahms considérait sans doute cette oeuvre comme un moyen de se réconcilier complètement avec le violoniste. La pièce fut créée en privé à Baden- Baden avec Brahms au pupitre et Joachim et Robert Hausmann (le violoncelliste du quatuor à cordes de Joachim) comme solistes.

La première prestation publique eut lieu à Cologne le 18 octobre 1887, avec les mêmes artistes. Bien que l’oeuvre reste la moins jouée des quatre concertos de Brahms, elle est, par sa puissance fantastique, ses mélodies entraînantes et son esthétique sublime, une des plus grandes réalisations du compositeur. Les compositions pour cette combinaison d’instruments solistes ne sont pas légion. Il y en a bien eu quelques-unes avant Brahms – de Vivaldi (trois !), Johann Christian Bach, Leopold Hofmann, Josef Reicha, Carl Stamitz, Antonín Vranicky et Donizetti – mais aucune qui soit aussi aboutie. Et après Brahms, il a fallu attendre jusqu’à Delius (1916) pour voir un tel concerto sortir de la plume d’un grand compositeur. D’autres exemples patents sont la Sinfonia concertante de Miklós Rózsa (1966) composée pour Heifetz et Piatigorsky, et le concerto de Robert Starer (1968). Pour une raison ou une autre toutefois, on a vu apparaître ces dernières années un florilège de doubles concertos pour violon et violoncelle, signés notamment par Arvo Pärt, Ellen Taffee Zwilich et Philip Glass. Les tessitures des deux instruments solistes sont très éloignées, mais Brahms parvient à les intégrer dans un concerto qui met en valeur les beautés tonales de chacun, tout en offrant de nombreuses possibilités pour les jeux d’ensemble. Ces caractéristiques sont évidentes dès les premières mesures du concerto. L’orchestre au complet démarre de façon péremptoire avant d’être interrompu après à peine quatre mesures, comme en plein milieu d’une phrase, par le violoncelle solo qui rumine sombrement le thème.

Le choeur des vents tente d’introduire un deuxième thème, cette fois gracieux et lyrique, mais il est interrompu lui aussi, cette fois par le violon solo. Les deux solistes s’engagent dans une longue cadence qui devient de plus en plus exubérante, tandis que les deux instruments parcourent toute l’étendue de leurs registres combinés, couvrant ainsi près de cinq octaves. Leurs derniers accords avant la reprise de l’orchestre sont des jeux en quadruple corde, c’est-à- dire que les deux solistes utilisent simultanément les quatre cordes de leur instrument – produisant ainsi une extraordinaire texture en huit parties à l’aide de seulement deux instruments.

Tout cela n’était que l’introduction, qui fait désormais place à la traditionnelle exposition orchestrale reprenant les deux thèmes principaux déjà présents sous forme fragmentaire. Tout au long du mouvement, les solistes dialoguent entre eux ou individuellement avec l’orchestre, ou encore en tant que groupe soliste face à l’orchestre. Ce mouvement de structure ample permet d’exploiter pleinement les thèmes principaux ainsi que les matériaux secondaires. Le mouvement Andante de forme ternaire est empreint du lyrisme le plus ardent et des mélodies les plus grandioses de Brahms. Le thème principal est énoncé au départ par les solistes jouant en octaves, et le deuxième est un émouvant choeur de vents. Dans sa biographie de Brahms, Walter Niemann décrit ce mouvement comme « une grande ballade empreinte de l’atmosphère riche et mystérieuse d’une soirée dans le Nord ». Le dernier mouvement est un rondo dont le thème principal est d’inspiration hongroise. Des airs mémorables, une grande vitalité rythmique, des sonorités massives (encore une fois, les solistes produisent des accords à sept et huit parties), des touches d’humour et même un bref duo dans lequel le violoncelle solo joue plus haut que le violon, tout cela contribue à l’atmosphère spéciale de cette musique. Une brillante coda mène le concerto à sa conclusion dans la glorieuse tonalité de la majeur.

La Symphonie nº 4 en mi mineur, op. 98 de Brahms

Brahms écrivit sa Quatrième symphonie en 1884 et en 1885. Il en fit un arrangement pour deux pianos qu’il joua avec Ignaz Brüll devant une petite assemblée d’amis et de musiciens triés sur le volet. Leur réaction fut franchement glaciale. Mais à la création, le 17 octobre 1885, l’auditoire applaudit avec chaleur. L’ouverture de la symphonie donne la curieuse impression que l’exécution de l’oeuvre est déjà bien entamée et qu’on l’aborde par le milieu.

La petite cellule de deux notes (« brève – longue ») émise d’entrée de jeu par les violons devient ensuite le principal matériau de construction – le « mortier musical », si l’on préfère – sur lequel est fondé tout le premier mouvement. D’autres thèmes se font entendre, mais le motif à deux notes n’est jamais loin, s’insinuant souvent dans une figure d’accompagnement ou une idée secondaire. Le deuxième sujet de ce mouvement de forme sonate est introduit par un motif de fanfare aux cors et aux bois, ouvrant la voie à un thème lyrique et plein d’élan pour les violoncelles et le cor solo. Ce dernier (doublé par le hautbois) assure aussi l’exposition initiale du thème de clôture, dans une toute nouvelle atmosphère réconfortante et apaisée. Le mouvement lent a ceci d’inusité qu’il adopte la même tonalité de base de mi mineur. (Les compositeurs prennent habituellement soin de le camper dans une tonalité contrastant avec celle de l’imposant premier mouvement.)

Alors que le mi mineur du premier mouvement est toujours présent à nos oreilles, deux cors énoncent un motif dont la première note est mi, mais Brahms retarde quelque peu la confirmation de l’idyllique tonalité de mi majeur. Le mouvement franchit tout un univers de climats, depuis la mélancolie de l’automne et un lyrisme attendri jusqu’à la plus austère grandeur, et s’achève sur le motif même au cor qui l’a ouvert.

Le troisième mouvement est habituellement décrit comme un scherzo, même si ce n’est pas ainsi que Brahms le désignait. Dans son orchestration massive, qui comprend des timbres inhabituels chez Brahms (le piccolo et le triangle), se manifeste un esprit viril et contagieux, lequel s’inscrit dans la mémoire plus fortement que toute idée mélodique prise isolément. Le finale est le plus inattendu des quatre mouvements, dans la mesure où il épouse la technique de la passacaille ou de la chaconne – un procédé de composition répandu à l’ère baroque qui consiste à construire une oeuvre entière sur un bref motif mélodique ou harmonique constamment répété. Brahms en a emprunté le thème à la Cantate no 150 de Bach (Nach dir, Herr, verlanget mich), exposé d’entrée de jeu par toute la section des bois (en plus des trombones, qui se font ici entendre pour la première fois depuis le début de la symphonie). La chaconne était surannée au temps de Brahms et n’avait encore jamais été utilisée dans une symphonie. L’impulsion est venue de l’intérêt du compositeur pour les formes musicales anciennes, en particulier pour la fugue et le contrepoint dans toutes leurs déclinaisons, et de son besoin impérieux de relever un défi de ce genre. La principale embûche à surmonter pour écrire une chaconne est le risque de sombrer dans la monotonie – en répétant constamment la même brève suite de notes ou d’accords. Mais dans les trente variations continues qui suivent l’exposition du « thème » de huit mesures (auxquelles s’ajoutent quatre mesures supplémentaires dans les réexpositions étendues de la coda), on ne sent à aucun moment une quelconque perte de vitesse, un éventuel abus d’harmonies toniques, une régularité quelque peu fastidieuse, ni rien d’autre qu’une parfaite maîtrise et une absolue économie de moyens.

Traduit d’après Robert Markow